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L’ÉVÊQUE DE NANCY

de chapeaux de paille, l’évêque me dit avec un sourire forcé :

« Ma petite, j’espère que vous me chargerez de vos commissions, je crois que c’est en Toscane qu’on fait les plus beaux. »

Mon père et moi échangeâmes un regard de surprise. L’évêque prit, en effet, le lendemain de grand matin la route de Nancy, mais c’était pour y faire ses paquets et se rendre à Florence. Nous évitâmes de concert toute explication. Quand un homme de talent et de conscience agit ainsi contre son propre jugement et que le parti est pris, il n’y a rien à dire. Je n’en ai jamais su davantage. L’Empereur l’avait-il intimidé ou séduit ? Je l’ignore, ni l’un ni l’autre n’étaient faciles avec un homme dont l’esprit était aussi distingué que la haute raison. Le fait s’est passé précisément comme je le raconte.

Au retour de Florence, en 1814, la décision prise avait trop mal réussi pour qu’il fût opportun de revenir sur le passé. Elle a éventuellement causé la mort de mon oncle, car les haines du parti émigré et de l’esprit prêtre se sont réunies dans toute leur âcreté pour semer d’amertume le reste de sa vie. Et, malgré la haute considération dont il jouissait à Nancy où il retourna, elles ont tiré assez de fiel de ce malheureux séjour à Florence pour le tourmenter à un tel point que sa santé y a succombé. S’il était resté à Nancy, aucune des tribulations qu’on lui a suscitées n’aurait pu avoir lieu, et il aurait trouvé dans les papes des protecteurs au lieu d’antagonistes offensés et voulant se venger. Mais résister à la volonté de l’Empereur, quelque bon motif qu’on eût, semblait dans ce temps une espèce de démence ; lui-même cherchait à établir cette pensée.

Alexis de Noailles reçut un brevet de sous-lieutenant pour se rendre à l’armée ; il déclara que sa volonté était