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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/291

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

avait été traqué dans toute l’Italie et la peine qu’il avait eue à rejoindre la frontière de France. Elle ne put y tenir plus longtemps, et leur dit avec une extrême vivacité :

« Messieurs, vous êtes tous dans l’erreur ; on a reçu cette nuit même les meilleures nouvelles de partout, et l’Empereur est parfaitement content de ce qui se passe de tous les côtés. »

Chacun se regarda avec étonnement ; pour moi il m’était clair que cette phrase était à mon adresse ; je souris et laissai le champ libre à des lamentations probablement fort tristes lorsqu’ils furent entre eux.

S’ils se faisaient des illusions, les nôtres n’étaient pas moins absurdes. Nous nous figurions que les puissances étrangères travaillaient dans l’intérêt de nos passions, et quiconque voulait nous éclairer à cet égard nous paraissait décidément un traître. Nous avions établi que le prince de Suède, Bernadotte, était l’agent le plus actif de la restauration bourbonienne. Nous l’avions placé à Bruxelles, entouré des princes français, et nous n’en voulions pas démordre.

Un soir, monsieur de Saint-Chamans vint nous dire que le colonel de Saint-Chamans, son frère, arrivant de Bruxelles à l’instant même, assurait que ni Bernadotte, ni nos princes, ni pas un soldat étranger n’était entré en Belgique, et que les suédois étaient je ne sais où derrière le Rhin. Non seulement nous ne le crûmes pas, non seulement nous soupçonnâmes la véracité du colonel, mais nous fûmes tellement courroucés contre monsieur de Saint-Chamans que peu s’en fallut que nous ne le regardassions comme un faux frère. Il eut à subir de grandes froideurs, comme un homme suspect !

Voilà la candeur et la justice des factions. Assurément nous étions de très bonne foi. Quand je me rappelle avoir partagé des impressions si déraisonnables, cela me