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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

sait celle tout aussi sûre qu’un autre venait d’apporter.

Le lendemain, à cinq heures du matin, tout le monde fut également et bruyamment averti par la fusillade et le canon que Paris était attaqué vigoureusement et de trois côtés. On apprit, en même temps, le départ de l’Impératrice, de la Cour et du gouvernement impérial.

Nous habitions une maison de la rue Neuve-des-Mathurins. Des fenêtres les plus hautes, on voyait parfaitement Montmartre, et, vers la fin de la matinée, nous assistâmes à la prise de cette position. Les obus passaient par-dessus nous. Quelques-uns arrivèrent jusque sur le boulevard et mirent en fuite les belles dames, en plumes et en falbalas, qui s’y promenaient à travers les blessés qu’on rapportait des barrières et les secours d’armes, d’hommes et de munitions qu’on y envoyait.

Beaucoup de personnes quittèrent Paris. Je n’avais aucun désir de m’en éloigner et, comme mon père trouvait les routes, au milieu d’une pareille confusion, plus dangereuses que la ville, il autorisait notre séjour.

Eugène d’Argout, mon cousin, qui, blessé à la bataille de Leipsick, n’avait pu faire la campagne de France, se chargea de nos préparatifs de sûreté. Il commença par les provisions, fit acheter de la farine, du riz, quelques jambons, enfin tout ce qui était nécessaire pour passer plusieurs jours renfermés. Ensuite il fit éteindre tous les feux, fermer tous les volets et donner le plus possible l’air inhabité à la maison. De plus, il fit traîner une grosse charrette de fourrage, arrivée le matin de la campagne, sous la voûte, avec le projet de la pousser contre la porte cochère si la ville était forcée. Puis il déclara à tous les gens que ceux qui seraient dehors ne rentreraient pas que le calme ne fût rétabli.

Eugène avait fait toutes les guerres depuis dix ans et avait vu prendre bien des villes. Il disait que les plus