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LA BATAILLE DE PARIS

Le dimanche 25 mars, nous vîmes partir, après la parade, un magnifique régiment de cuirassiers arrivant de l’armée d’Espagne ; ils allaient rejoindre celle de l’Empereur et suivaient le boulevard vers trois heures. J’ai peu vu de troupes dont l’aspect m’ait plus frappée.

Dès le matin du lendemain, il en reparut isolément aux barrières de Paris, se dirigeant sur les hôpitaux, eux et leurs chevaux plus ou moins blessés, et leurs longs manteaux blancs souillés et couverts de sang. Il était évident qu’on se battait bien près de nous. J’en rencontrai plusieurs en allant me promener au Jardin des Plantes. Le contraste avec leur apparence de la veille serrait le cœur.

Au bout de deux heures, nous revînmes, ma mère et moi, le long des boulevards. Ce peu de temps avait suffi pour changer leur aspect ; ils étaient couverts jusqu’à l’encombrement par la population des environs de Paris. Elle marchait pêle-mêle avec ses vaches, ses moutons, ses pauvres petits bagages. Elle pleurait, se lamentait, racontait ses pertes et ses terreurs, et, comme de raison, disposait à l’irritation contre ce qui paraissait plus heureux. On ne pouvait aller qu’au pas ; les injures n’étaient pas épargnées à notre calèche ; je n’avais pas besoin de cela pour commencer à trouver que la guerre était fort laide à voir de si près.

Nous rentrâmes sans accident, mais un peu effrayées et profondément émues. Le bruit lointain du canon ne tarda pas à se faire entendre ; nous sûmes que, dans les ministères et chez les princes de la famille impériale, on faisait des paquets. Dès que la nuit fut tombée, les cours des Tuileries se remplirent de fourgons ; on parla du départ de l’Impératrice ; personne n’y voulait croire.

Nous passâmes toute cette journée du lundi dans une grande anxiété et au milieu des bruits les plus contradictoires ; chacun avait une nouvelle sûre qui détrui-