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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/299

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Je considérais peu ceux de nos princes que j’avais vus de près. On m’assurait que Louis XVIII était dans d’autres principes. L’extrême animosité qui existait entre sa petite Cour et celle de monsieur le comte d’Artois pouvait le faire espérer. J’avais quitté l’Angleterre avant que les vicissitudes de l’exil l’y eussent amené, et je me prêtais volontiers à écouter les éloges que ma mère faisait du Roi, malgré le tort qu’il avait, à ses yeux, d’être un constitutionnel de 1789.

C’était sur ce tort même que se fondaient mes espérances ; car, en me recherchant bien, je me retrouve toujours aussi libérale que le permettent les préjugés aristocratiques qui m’accompagneront, je crains, jusqu’au tombeau.

Les combinaisons de la société politique en Angleterre n’ont jamais cessé de me paraître ce qu’il y a de plus parfait dans le monde. L’égalité complète et réelle devant la loi qui, en assurant à chaque homme son indépendance, lui inspire le respect de soi-même, d’une part, et, de l’autre, les grandes existences sociales qui créent des défenseurs aux libertés publiques et font de ces patriciens les chefs naturels du peuple lequel leur rend en hommage ce qu’il en reçoit en protection, voilà ce que j’aurais désiré pour mon pays ; car je ne conçois la liberté, sans licence, qu’avec une forte aristocratie. C’est ce que personne, ni le peuple, ni la bourgeoisie, ni la noblesse, ni le Roi, n’ont compris. L’égalité chez nous est une maladie de la vanité. Sous prétexte de cette égalité, chacun prétend à s’élever et à dominer, sans vouloir reconnaître que, pour conserver des inférieurs, il faut consentir à admettre, sans regret, des supérieurs.

Le mercredi 31 mars, pour renouer le fil de mon discours, dès sept heures du matin, monsieur de Glandevèse était chez nous. Il venait consulter mon père sur la