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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

s’ils avaient été plus religieux, ils se seraient volontiers signés pour exorciser le danger d’avoir seulement entrevu un spectacle qui leur semblait compromettant.

Le prince Wolkonski, comme on peut croire, fut reçu avec joie. Il me dit tout de suite que le comte de Nesselrode l’avait chargé de venir chez nous nous porter l’assurance de toute espèce de sécurité et de protection, et puis demander à mon père quelles étaient les espérances raisonnables et possibles de notre parti, l’empereur Alexandre arrivant sans aucune décision prise. Nous envoyâmes chercher mon père chez le duc de Laval. Le prince Nikita lui répétait ses questions, lorsque mon cousin, Charles d’Osmond, encore presque enfant, entra dans la chambre tout essoufflé, criant, pleurant d’enthousiasme.

« La voilà, la voilà, disait-il ; elle est prise, prise sans opposition ! »

Et il nous montrait son chapeau orné d’une cocarde blanche. Il venait du boulevard, et allait y retourner. Mon père, en s’adressant à Wolkonski, lui dit :

« Je ne saurais, prince, vous faire une meilleure réponse ; vous voyez ce que ces couleurs excitent d’amour, de zèle et de passion.

— Vous avez raison, monsieur le marquis, je vais faire mon rapport de ce que j’ai vu et j’espère, dans ma route, en recevoir partout la confirmation ».

Le prince Wolkonski m’a dit depuis qu’ayant gagné la barrière par les rues, il n’avait trouvé sur son chemin que des démonstrations de tristesse et d’inquiétude et pas une de joie et d’espérance. Je pense qu’il fit son rapport complet, car certainement l’empereur Alexandre entra dans Paris avec la même irrésolution où il était le matin.

Nous allâmes, ma mère et moi, nous placer dans l’ap-