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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

trouvât place dans mon cœur, et j’avoue que je n’éprouvai que du soulagement.

À mesure que la tête de la colonne approchait, quelques cocardes blanches honteuses sortaient des poches, se plaçaient sur les chapeaux et se pavanaient sur les contre-allées, mais c’était encore bien peu nombreux, quoique le mouchoir blanc que les étrangers portaient tous à leur bras, en signe d’alliance, eût été tout de suite pris par la population pour une manifestation bourbonienne.

Notre fidèle escorte de jeunes gens entourait les souverains, criant à tue-tête et se multipliant, le plus qu’elle pouvait, par son zèle et son activité. Les femmes ne se ménageaient pas ; les mouchoirs blancs s’agitaient et les acclamations partaient aussi des fenêtres. Autant les souverains avaient trouvé Paris morne, silencieux et presque désert jusqu’à la hauteur de la place Vendôme, autant il leur parut animé et bruyant depuis là jusqu’aux Champs-Elysées.

Faut-il avouer que c’était dans ce lieu que la faction antinationale s’était donné rendez-vous pour accueillir l’étranger et que cette faction était composée principalement de la noblesse ? Avait-elle tort ? avait-elle raison ? Je ne saurais le décider à présent ; mais, alors, notre conduite me paraissait sublime. Pour beaucoup, elle était fort désintéressée, si toutefois l’esprit de parti peut jamais être considéré comme désintéressé ; pour tous elle était ennoblie par le danger personnel.

Toutefois, même au milieu de nos haines et de nos engouements du moment, je trouvai parfaitement stupide et inconvenante la conduite de Sosthène de La Rochefoucauld, allant, avec autorisation de l’empereur Alexandre, mettre la corde au col de la statue de l’empereur Napoléon pour la précipiter du haut de la colonne. Ren-