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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

J’ai eu lieu de m’occuper des détails de cette affaire ; j’ai été chargée d’en faire rédiger une relation, et j’ai cherché la vérité avec d’autant plus de soin que je ne voulais pas qu’on pût l’opposer à aucun des faits qui seraient rapportés. Ces documents ont été réunis et remis, en 1831, à monsieur Arago qui disait vouloir les publier. Mais, comme cela arrive quelquefois, le courage lui a manqué pour s’occuper d’un ami proscrit par les passions populaires. Toutefois, voici ce qui est resté démontré pour moi, comme la plus exacte vérité, sur cet événement.

L’empereur Napoléon vint visiter l’armée de Marmont campée à Essonnes ; il donna de grands éloges à toute sa conduite dans l’affaire de Paris où il avait encore tenu l’ennemi en échec quatre heures après avoir reçu l’ordre du roi Joseph de capituler. Il promit pour le corps d’armée les récompenses et les grades demandés par le maréchal. Ensuite il entra avec lui dans les détails de ses plans, sur ce qu’il y avait à faire ultérieurement. Il lui donna l’ordre de marcher dans la nuit avec ses dix mille hommes pour reprendre poste sur les hauteurs de Belleville :

« Sire, je n’ai pas quatre mille hommes en état de marcher. »

L’Empereur passa à autre chose, puis, un instant après, revint à parler des dix mille hommes. Le maréchal répéta qu’il n’en avait pas quatre mille sous ses ordres, ce qui n’empêcha pas l’Empereur de disposer de cinq mille hommes sur une route, de trois sur une autre, en en laissant deux avec l’artillerie, comme si les dix mille hommes existaient ailleurs que dans sa volonté.

Ce n’était pas tout à fait une aberration ; il avait adopté cette tactique dans toute la campagne de France, et elle lui avait réussi. Il n’aurait pas osé demander à