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OBSTINATION DE L’EMPEREUR

des corps aussi faibles qu’ils l’étaient effectivement les prodiges qu’il en attendait, et, en ayant l’air d’y compter, il les obtenait. Après qu’il eut achevé de développer son plan à Marmont, celui-ci lui demanda où et comment il passerait la Marne. L’Empereur se frappa le front :

« Vous avez raison, c’est impossible ; il faut songer à un autre moyen d’entourer Paris. Pensez-y de votre côté ; avertissez-moi de tout ce que vous apprendrez. Attendez de nouveaux ordres. »

L’Empereur retourna à Fontainebleau. Le maréchal Marmont resta confondu de l’idée d’entourer Paris, gardé par deux cent mille étrangers qui en attendaient journellement deux cent mille autres, avec une trentaine de mille hommes, tout au plus, dont l’Empereur pouvait disposer. Il prévoyait l’anéantissement des restes de cette pauvre armée et peut-être la destruction de la capitale, si, comme l’Empereur l’espérait, il réussissait à y faire éclater quelques démonstrations hostiles à l’armée alliée. Ce n’était pas la première fois que les projets de l’Empereur lui avaient paru disproportionnés, jusqu’à la folie, avec les moyens qui lui restaient.

Le soir de la bataille de Champaubert, les chefs de corps qui y avaient pris part soupaient chez l’Empereur ; chacun mangeait un morceau à mesure qu’il arrivait. Ils étaient encore cinq ou six à table, au nombre desquels se trouvaient Marmont et le général Drouot.

L’Empereur se promenait dans la chambre et faisait une peinture de situation dans laquelle il établissait qu’il était plus près des bords de l’Elbe que les Alliés de ceux de la Seine. Il s’aperçut du peu de sympathie que ses paroles trouvaient parmi les maréchaux ; chacun regardait dans son assiette sans lever les yeux.

Alors, s’approchant du général Drouot, et lui frappant sur l’épaule :