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SAUVEGARDE ENVOYÉE CHEZ MOI

Mes gens de Châtenay accoururent tout éplorés me dire qu’ils ne savaient plus que devenir : le maire était en fuite, l’adjoint caché dans mon enclos. Les premiers jours, ma maison avait été occupée par un état-major qui, ayant trouvé la cave bonne, avait emporté tout le vin qu’il n’avait pas eu le temps de boire et l’avait laissée complètement à sec, ce qui ne mettait pas les nouveaux arrivés de bonne humeur. Les détachements de toute arme, de toute nation s’y succédaient et excitaient la terreur des habitants du village ; ils avaient déjà appris à leurs dépens que les bavarois et les wurtembourgeois étaient les plus redoutables.

Mes relations russes me procurèrent facilement des sauvegardes. Le prince Wolkonski me donna deux cosaques de la garde pour les établir à Châtenay et un sous-officier pour les installer. J’y allai moi-même avec eux ; ma calèche se trouvait ainsi escortée par ces habitants des steppes ; oserai-je avouer que cela m’amusait assez. J’admirais l’assistance qu’ils prêtaient à leurs petits chevaux en montant les côtes : ils appuyaient leur longue lance à terre, la plaçaient sous leur aisselle ou la tenaient à deux mains, comme un aviron, et poussaient dessus, la replaçant en avant à mesure qu’ils avançaient, à peu près comme on se sert en bateau d’un aviron.

Je trouvai mes gens dans la consternation ; ils avaient adopté la cocarde blanche pour travailler plus paisiblement dans le jardin qui longeait la route de Choisy à Versailles. Mais, ce matin-là même, cette décoration avait pensé les faire sabrer par des troupes françaises ; c’était le corps de Marmont se rendant à Versailles. Quoique je ne me pique pas de grandes connaissances stratégiques, je ne comprenais pas comment elles se trouvaient dans les lignes des troupes alliées. Cela me parut étrange et ne me fut expliqué qu’à mon retour à Paris.