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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Ce jour-là, monsieur de Talleyrand pressa fort mon père de se rendre à Hartwell et d’y être porteur des paroles du gouvernement provisoire. Il refusa péremptoirement ; cela me parut tout simple. J’étais si fort imbue de l’idée qu’il ne voudrait rien accepter ; je lui avais si souvent entendu répéter que, lorsqu’on avait été vingt-cinq ans éloigné des affaires, on n’était plus propre à les faire que je ne formais aucun doute sur sa volonté d’en rester éloigné. Aussi, lorsque, dans les premières semaines, on le désignait comme devant être ministre du Roi, je souriais et me croyais bien sûre qu’il repousserait toute offre quelconque.

Charles de Noailles fut envoyé, sur son refus. Je ne sais s’il crut l’avoir emporté sur lui et s’accusa, fort gratuitement, d’un mauvais procédé, mais, depuis lors, il n’a plus été à son aise, ni familièrement avec nous. Au retour d’Angleterre, il prit le titre de duc de Mouchy.

Lorsque, depuis, mon père a consenti à rentrer dans les affaires, j’ai regretté qu’il n’eût pas accepté cette commission. Un homme sage, modéré, raisonnable et bon citoyen y aurait été plus propre qu’un homme exclusivement courtisan comme Charles de Noailles. Au reste, mon père n’était pas de l’étoffe dont on fait les favoris ; son crédit, s’il en avait eu, aurait été de peu de durée, et il n’aurait pu rien faire de mieux, en ce moment, que d’inspirer la déclaration de Saint-Ouen. Elle était déjà bien nécessaire, lorsqu’elle parut, pour réparer le mal causé par Monsieur. Ce pauvre prince a toujours été le fléau de sa famille et de son pays.

Je n’ai pas cherché à dissimuler le peu de considération que tout ce que j’avais vu et su de Monsieur m’avait donné pour son caractère ; cependant, l’enthousiasme est tellement contagieux que, le jour de son entrée à Paris, j’en éprouvai toute l’influence. Mon cœur battait,