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ENTRÉE DE MONSIEUR

mes larmes coulaient, et je ressentais la joie la plus vive, l’émotion la plus profonde.

Monsieur possédait à perfection l’extérieur et les paroles propres à inspirer de l’exaltation ; gracieux, élégant, débonnaire, obligeant, désireux de plaire, il savait joindre la bonhomie à la dignité. Je n’ai vu personne avoir plus complètement l’attitude, les formes, le maintien, le langage de Cour désirables pour un prince. Ajoutez à cela une grande urbanité de mœurs qui le rendait charmant dans son intérieur et le faisait aimer par ceux qui l’approchaient. Il était susceptible de familiarité plus que d’affection, et avait beaucoup d’amis intimes dont il ne se souciait pas le moins du monde.

Peut-être faut-il en excepter monsieur de Rivière. Encore, lorsqu’il eut ouvertement affiché la dévotion et qu’il n’eut plus à s’épancher exclusivement avec lui, leur liaison cessa d’être aussi tendre, jusqu’au moment où la nomination de monsieur de Rivière à la place de gouverneur de monsieur le duc de Bordeaux la ranima. C’était derechef dans un but de dévotion. Il s’agissait alors de consolider le pouvoir de la Congrégation dont tous deux faisaient partie. Mais ceci appartient à une autre époque.

Monsieur avait couché, la veille de son entrée à Livry, dans une petite maison appartenant au comte de Damas. C’est là que la garde nationale à cheval, nouvellement improvisée, alla l’attendre. Il employa toutes ses grâces à la séduire, et il n’en fallait pas tant dans la disposition où elle était, et lui distribua quelques pièces de ruban blanc qu’elle porta passé à la boutonnière. C’est l’origine de cet ordre du Lis que la prodigalité avec laquelle on l’a donné a promptement rendu ridicule. Mais, dans le premier moment et assaisonné de toutes les cajoleries de Monsieur, il avait charmé nos jeunes gens qui, en