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ON PREND LA COCARDE BLANCHE

que les soldats de Marmont la portaient. Une fois adoptée par un corps d’armée, la question était tranchée.

Cependant, le duc de Raguse fut du petit nombre d’officiers qui allèrent au-devant de Monsieur avec la cocarde tricolore ; on ne le lui a jamais pardonné. Cette démonstration, qui ne lui ramena pas les bonapartistes, lui aliéna la nouvelle Cour. Elle prouve sa bonne foi, et combien dans toutes ses actions il est conduit par ce qui frappe son imagination mobile comme devoir du moment. Quelques officiers étaient sans aucune cocarde, la majorité portait la cocarde blanche.

Au commencement de la matinée, presque toute la garde nationale, qui bordait la haie, avait les couleurs tricolores. Petit à petit elles disparurent et, au moment où Monsieur passa, s’il n’y avait que peu de cocardes blanches parmi elle, il n’y en avait guère plus de tricolores.

Avant de quitter ce sujet des cocardes, je ne puis m’empêcher de rapporter que, de la terrasse de madame Ferrey où j’avais été voir passer le cortège, nous aperçûmes monsieur Alexandre de Girardin se rendant à la barrière avec une cocarde blanche large comme une assiette. Monsieur Ferrey tressaillit et nous raconta que, le matin même, il l’avait rencontré sur la route d’Essonnes. Tous deux étaient à cheval. Monsieur de Girardin venait de Fontainebleau. Il entama une diatribe si violente contre la lâcheté des Parisiens, la trahison des officiers ; sa fureur contre les alliés, sa haine contre les Bourbons s’exhalaient d’une voix si haute et en termes si offensants, qu’arrivé près des postes étrangers, monsieur Ferrey avait arrêté son cheval et lui avait signifié l’intention de se séparer de lui, ce qu’il avait jusque-là vainement essayé en changeant d’allure. Monsieur Ferrey n’en croyait pas ses yeux en le voyant trois heures après affublé de cette énorme cocarde blanche.