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ATTITUDE DU PARTI ÉMIGRÉ

trois (car l’empereur François était arrivé avant Monsieur) dans une grande loge au fond de la salle. Monsieur occupait celle du Roi où les armes de France remplaçaient l’aigle si inconvenablement abattue. Il alla faire une visite aux souverains étrangers pendant le premier entr’acte ; ils la lui rendirent pendant le second.

Il n’y eut de très remarquable ce soir-là que l’admirable convenance du public, le tact avec lequel il saisit toutes les allusions de la scène et s’associa à toutes les actions de la salle. Par exemple, lorsque Monsieur alla voir les souverains, tout le monde se leva en gardant le silence ; mais, lorsqu’ils lui rendirent sa visite, il y eut des applaudissements à tout rompre, comme pour les remercier de cet hommage à notre Prince. Le Parisien rassemblé a les impressions singulièrement délicates.

Plus on était avant dans les affaires, plus on attendait le Roi avec impatience. Chaque jour les entours du lieutenant général l’entraînaient de plus en plus à prendre l’attitude de chef d’un parti ; et, si l’empereur Alexandre n’avait été là pour arrêter cette tendance, nous aurions vu tous les propos de Coblentz mis en action.

Les vieux officiers de l’armée de Condé, les échappés de la Vendée, sortirent de dessous les pavés, persuadés qu’ils étaient conquérants et voulant se donner l’attitude de vainqueurs. Cette prétention était naturelle. Habitués depuis vingt-cinq ans à regarder leur cause comme associée à celle des Bourbons, en voyant se relever leur trône ils se persuadèrent avoir triomphé. D’un autre côté, les serviteurs de l’Empire, accoutumés à dominer, s’accommodaient mal de ces prétentions intempestives.

Un homme qui avait gagné ses épaulettes en assistant au gain de cent batailles était révolté de voir sortir d’un bureau de tabac ou de loterie un autre homme ayant épaulettes pareilles et voulant prendre le haut du pavé