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MADAME ET MADEMOISELLE DE STAËL

moi, je marchais d’étonnement en étonnement sans faire de progrès dans l’art du courtisan.

Cette nomination nous ramena de la campagne où nous avions été nous reposer d’un hiver et d’un printemps si agités. Ma mère avait fait une chute qui l’empêchait de remuer, de sorte que tous les embarras des préparatifs de départ tombèrent sur moi. Ces soins matériels, joints au chagrin de quitter mes amis et mes habitudes, m’absorbèrent tellement que je ne m’occupai guère des affaires publiques et qu’elles se présentent moins nettement à ma mémoire. Mais je retrouve encore quelques faits particuliers dans mes souvenirs.

Madame de Staël arriva peu après le Roi. Son bonheur de se retrouver à Paris était encore accru par la joie qu’elle éprouvait à se parer de la jeune beauté de sa charmante fille.

Malgré des cheveux d’une couleur un peu hasardée et quelques taches de rousseur, Albertine de Staël était une des plus ravissantes personnes que j’aie jamais rencontrées, et sa figure avait quelque chose d’angélique, de pur et d’idéal que je n’ai vu qu’à elle. Sa mère en était heureuse et fière ; elle pensait à la marier ; les prétendants ne tardèrent pas à se présenter.

Madame de Staël avait coutume de dire, depuis son enfance, qu’elle saurait bien forcer sa fille à faire un mariage d’inclination ; et je crois bien qu’elle a employé l’empire qu’elle avait sur elle à diriger son choix sur un duc et pair, riche et grand seigneur. C’est encore par des qualités plus personnelles que le duc de Broglie a justifié la préférence qui lui fut accordée ; au reste, j’anticipe sur les événements, car ce mariage n’eut lieu que l’année suivante.

La haine qu’elle portait à Bonaparte avait rendu madame de Staël très royaliste ; elle s’émerveillait elle-