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APPENDICE i

les citations, les exemples ne sont rien. Dans le xviiie siècle, on n’a plus le droit de commander aux hommes qu’en se soumettant avec eux à l’empire éternel de la raison. Je sais qu’on n’admet pas généralement ces principes ; cependant ce sont les véritables et leur application aux circonstances dans lesquelles se trouve la France peut seule la préserver des malheurs dont elle est menacée. Je le dis avec d’autant plus de franchise que rien ne me paraît plus intimement lié que la gloire du Roi au bonheur de la Nation et la gloire de la Nation au bonheur du Roi.

Il faut se hâter ; on a déjà perdu des moments précieux ; l’esprit de parti fait des progrès rapides ; les têtes s’enflamment ; n’osant pas dire positivement les choses, on dispute sur les mots ; on se rallie aux prétentions parlementaires : le gouvernement ne doit pas s’y tromper ; ce n’est qu’un prétexte. Le peuple peut être conduit à des révoltes dont il ignore le motif sans en prévoir l’effet, mais l’opinion qui le dirige n’attache aucun prix à l’existence des Parlements ; elle veut des États Généraux qui assurent à la Nation le droit imprescriptible de consentir l’impôt et aux citoyens une liberté individuelle protégée par les lois. Roi au bonheur de la Nation et la gloire de la Nation au bonheur du Roi.

Les grands intérêts politiques étant devenus la matière de toutes les conversations, on entend sans cesse parler de l’Angleterre, de sa constitution, la comparer avec ce que nous pouvons devenir, mettre en parallèle les deux Rois réduits à la liste civile ; cependant rien n’est plus ridicule que cette comparaison. La position géographique de la France ne lui permet pas d’être soumise au régime anglais ; elle lui impose la nécessité d’avoir une armée de deux cents mille hommes, circonstance qui, seule (sans entrer dans de grands détails et planant sur les idées intermédiaires), met une extrême différence entre les magistrats souverains de ces deux Nations. Roi au bonheur de la Nation et la gloire de la Nation au bonheur du Roi.

En France, l’autorité que doit conserver le Roi est une sûreté. La portion du peuple qui peut s’exprimer est trop éclairée pour faciliter aux grands le moyen de marcher à l’aristocratie ; la noblesse a trop besoin des places et des faveurs de la Cour pour laisser restreindre au delà de cer-