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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

taines bornes les facilités que le Roi a de se l’attacher par ses bienfaits ; le clergé aurait trop à se défendre de l’esprit philosophique uni au républicain pour ne pas s’opposer à tout ce qui pourrait anéantir l’autorité royale. L’étendue de l’Empire, le génie de la Nation, l’habitude, tout nous lie au système d’une monarchie limitée ; nous ne pourrions nous en éloigner que par les convulsions d’une guerre civile, et je doute que ce fut à l’avantage de nos neveux.

Un Roi, un peuple, une noblesse, un clergé ne sont pas incompatibles. Nous pouvons, en conciliant leurs intérêts, obtenir de la raison toute seule ce qui a coûté à nos voisins des siècles de malheurs. Le ministère actuel laissera-t-il échapper l’occasion de commander à la postérité une reconnaissance éternelle ?

M. l’archevêque de Sens a déjà trop tardé. Cependant il trouvera une excuse dans la persuasion où sont les gens sensés qu’il faut longtemps préparer l’esprit des Rois pour les déterminer à un sacrifice de la moindre portion de cette autorité absolue que la flatterie les accoutume à tant apprécier. Si le principal ministre conserve sa place, il est temps de parler franchement, de calmer l’effervescence que produit le désir de la liberté qu’on peut raisonnablement souhaiter. Il est surtout temps d’imposer silence au dépit de la magistrature, à la haine des envieux et aux clabauderies de courtisans qui, sans savoir positivement ce qu’ils veulent, crient toujours contre tout ce qui se fait. Les passions, sous le masque de l’intérêt public, pousseront le peuple à une résistance plus embarrassante que l’insurrection qui s’annonce déjà dans quelques provinces si le Roi, en avançant l’époque des États Généraux, ne manifeste pas clairement, irrévocablement les intentions louables dont M. l’archevêque l’a animé.

Souvent, à une certaine distance, on juge mal les objets moyennant quoi je pourrais bien me tromper, mais, de la position où je suis, il me semble que, pour tout calmer, pour tout réparer, le Roi devrait appeler près de sa personne ou une cour plénière ou des députés des assemblées provinciales ou les présidents de ces assemblées, enfin un corps quel-