Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

une faiblesse. Monsieur le comte de Fersen, suédois, beau comme un ange et fort distingué sous tous les rapports, vint à la Cour de France. La Reine fut coquette pour lui comme pour tous les étrangers, car ils étaient à la mode ; il devint sincèrement et passionnément amoureux ; elle en fut certainement touchée, mais résista à son goût et le força à s’éloigner. Il partit pour l’Amérique, y resta deux années pendant lesquelles il fut si malade qu’il revint à Versailles, vieilli de dix ans et ayant presque perdu la beauté de sa figure. On croit que ce changement toucha la Reine ; quelle qu’en fût la raison, il n’était guère douteux pour les intimes qu’elle n’eût cédé à la passion de monsieur de Fersen.

Il a justifié ce sacrifice par un dévouement sans bornes, une affection aussi sincère que respectueuse et discrète ; il ne respirait que pour elle, et toutes les habitudes de sa vie étaient calculées de façon à la compromettre le moins possible. Aussi cette liaison, quoique devinée, n’a jamais donné de scandale. Si les amis de la Reine avaient été aussi discrets et aussi désintéressés que monsieur de Fersen, la vie de cette malheureuse princesse aurait été moins calomniée.

Madame de Polignac lui a été bien plus fatale. Ce n’est pas que ce fût une méchante personne, mais elle était indolente et peu spirituelle ; elle intriguait par faiblesse. Elle était sous la domination de sa belle-sœur, la comtesse Diane, ambitieuse, avide autant que désordonnée dans ses mœurs, qui voulait accaparer toutes les faveurs pour elle et pour sa famille, et, tyrannisée par son amant, le comte de Vaudreuil, homme aussi léger qu’immoral, et qui, par le moyen de la Reine, mettait le trésor public au pillage pour lui et les compagnons de ses désordres. Il faisait des scènes à madame de Polignac quand ses demandes souffraient quelque retard. La Reine trouvait