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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/45

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Dans l’intérieur de sa famille, la Reine était très aimée et très aimable, et n’était occupée qu’à raccommoder les petites tracasseries qui s’y élevaient. Elle était, hélas ! trop la confidente des sottises de monsieur le comte d’Artois et lui procurait l’indulgence du Roi qui, tout à fait sous son charme, l’aurait adorée, si la mode lui avait permis de le souffrir.

Monsieur, courtisan ambitieux et sournois, n’aimait point la Reine. Il prévoyait que, le jour où elle deviendrait moins futile, elle s’emparerait de l’espèce d’importance sérieuse à laquelle il aspirait, et il craignait de se compromettre en en montrant trop clairement le désir. Il vivait assez en dehors des affaires, tout en se préparant la réputation d’un homme capable de s’en mêler utilement.

Monsieur le comte d’Artois débutait alors à cette fatale destinée qui devait perdre sa famille et son pays. Il n’avait que les goûts et les travers des jeunes gens de son temps, mais il les montrait sur un théâtre assez élevé pour les rendre visibles à la foule ; et la valeur, cette ressource banale des hommes du monde, ne les couvrait pas assez.

Au siège de Gibraltar, où il avait eu la fantaisie d’assister, il avait eu une attitude déplorable, au point que le général qui y commandait avait pris le parti de faire prévenir dans les batteries anglaises, et l’on ne tirait pas quand le prince visitait les travaux. On a dit que c’était à son insu, mais ces choses-là se savent toujours quand on ne préfère pas les ignorer. Je sais qu’on fit des reproches à monsieur de Maillebois ; il répondit : « Mais cela valait encore mieux que la grimace qu’il faisait le premier jour. » La ridicule parade de son duel avec monsieur le duc de Bourbon fut une nouvelle preuve d’une disposition que le reste de sa conduite n’a que trop confirmée.