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LES ÉTATS GÉNÉRAUX

il devait s’arrêter, soit en exigences, soit en concessions. De plus, il n’avait point confiance en monsieur Necker. Il le croyait disposé à placer le Roi sur une pente, sans avoir l’intention de l’y précipiter, mais avec l’orgueilleuse pensée que lui seul pouvait l’arrêter, et qu’ainsi il se rendait nécessaire.

La colère de Madame Adélaïde n’attendit pas longtemps les événements pour se calmer.

Un jour, j’étais à jouer chez les petites de Guiche ; on vint me chercher beaucoup plus tôt que de coutume. Au lieu du domestique ordinairement chargé du soin de me porter, je trouvai le valet de chambre de confiance de mon père. J’avais une bonne anglaise qui parlait mal français ; on lui remît un billet de ma mère. Pendant qu’elle le lisait, je rentrai dans la chambre de mes petites compagnes et déjà tout y était sans dessus dessous : on pleurait et on commençait des paquets. On m’enveloppa dans une pelisse ; le valet de chambre me prit dans ses bras, et, au lieu de me ramener chez mes parents, il m’installa avec ma bonne chez un vieux maître d’anglais qui habitait une petite chambre au quatrième dans un quartier éloignée.

La nuit suivante, on vint me chercher, et je fus menée à la campagne où je restai plusieurs jours sans nouvelles de personne. J’étais déjà assez âgée pour souffrir beaucoup de cet exil. C’était lors des troubles du mois de juin et à l’époque du départ de monsieur le comte d’Artois, de ses enfants et de la famille Polignac. À mon retour, je trouvais l’aînée des petites de Guiche partie et sa sœur cachée chez les parents de sa bonne. Le motif de tout cet émoi pour nous autres enfants avait été le bruit répandu que le peuple, comme on appelait dès lors une poignée de misérables, était en route pour venir enlever les enfants des nobles et en faire des otages.