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LE 6 OCTOBRE 1789

ger. Et là, comme à Varennes, les chances de salut ont été perdues par ces habitudes princières qui, pour la famille royale de France, étaient une seconde nature. Mon père, obligé de rentrer chez lui pour changer d’habits, ne retourna pas au château cette nuit-là et ne fut pas témoin des horreurs qui s’y commirent.

Aussitôt que le consentement donné par le Roi à sa translation à Paris eut ouvert les portes du château, ma mère se rendit auprès de sa princesse. Elle trouva les deux sœurs, mesdames Adélaïde et Victoire, dans leur chambre au rez-de-chaussée, tous les volets fermés et une seule bougie allumée. Après les premières paroles, elle leur demande pourquoi elles attristaient encore volontairement une si triste journée : « Ma chère, c’est pour qu’on ne nous vise pas comme ce matin, » répondit madame Adélaïde avec un calme et une douceur extrêmes. En effet, le matin on avait tiré dans toutes leurs fenêtres ; les vitres d’aucune n’étaient entières.

Ma mère resta auprès d’elles jusqu’au moment du départ. Elle voulait les accompagner mais Mesdames s’y refusèrent obstinément et n’acceptèrent cette marque de dévouement que de leurs dames d’honneur, madame la duchesse de Narbonne et madame de Chastellux. Elles suivirent jusqu’à Sèvres la triste procession qui emmenait le Roi ; là, elles prirent le chemin de Bellevue. Mes parents allèrent les y rejoindre le lendemain.

Néanmoins, la fermentation ne se calmait pas. À Versailles, l’agitation était extrême, les menaces contre ma mère, atroces. On disait que Madame Adélaïde menait le Roi, que ma mère menait Madame Adélaïde et qu’ainsi elle était à la tête des aristocrates. Cela devint tellement violent qu’au bout de trois jours le danger était réel, et nous partîmes pour l’Angleterre.

J’ai peu de souvenir de ce voyage. Je me rappelle