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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

J’ai entendu raconter à mon père qu’arrivé sur la terrasse de l’Orangerie, où était le rendez-vous, il se promena longtemps seul ; survint un homme enveloppé d’un manteau. Ils s’évitèrent d’abord, puis se reconnurent ; c’était le comte de Saint-Priest, alors ministre, homme de sens et de courage. Ils continuèrent longtemps leur promenade ; personne ne venait, l’heure s’avançait. Inquiets et étonnés, ils ne savaient que penser sur la cause qui retardait le départ projeté du Roi et qui devait se rendre dans la nuit même à Rambouillet. Ils n’osaient se présenter dans les appartements avec leur costume de voyage ; non seulement c’était contraire à l’étiquette, mais, dans cette circonstance, ç’aurait été une révélation.

Monsieur de Saint-Priest, qui logeait au château, se décida à rentrer chez lui, changer de costume ; il donna rendez-vous à mon père dans un endroit écarté. Celui-ci l’y attendit longtemps, enfin il arriva : « Mon cher d’Osmond, allez-vous-en chez vous rassurer votre femme : le Roi ne part plus. » Et, lui serrant la main : « Mon ami, monsieur Necker l’emporte ; le Roi, la monarchie sont également perdus. »

Le départ du Roi pour Rambouillet avait été décidé, mais les ordres pour les voitures avaient été transmis avec les nombreuses formes usitées dans l’habitude. Le bruit s’en était répandu. Les palefreniers avaient hésité à atteler, les cochers à mener. La populace s’était ameutée devant les écuries et refusait de laisser sortir les voitures. Monsieur Necker, averti, était venu chapitrer le Roi que les difficultés matérielles du transport avaient arrêté plus encore que ses discours, et on s’était décidé à rester. Aller à Rambouillet sur un cheval de troupe, lui qui faisait vingt lieues à cheval à la chasse, lui aurait paru une extrémité à laquelle il était impossible de son-