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CORRESPONDANCE

Samedi soir, je ne sais où.

Je ne vous ai pas écrit depuis un siècle, mon cher papa ; mais la pauvre Dadé a été si, si malade ! On dit cependant que nous avons eu un passage unique pour la saison. Dans le fait, sans Bichat qui, toujours pressé, nous a fait embarquer sept heures trop tôt, nous n’aurions été que quarante cinq heures à bord. Tant que nous avons été en mer, je n’ai pas eu un moment de relâche, mais, depuis notre entrée dans l’Elbe, j’ai moins souffert. Arrivée à Cuxhaven, c’est-à-dire à Ritzbüttel, j’ai pris toutes les précautions possibles pour me soulager et, le lendemain, il ne me restait de tous mes maux qu’un corps bien douloureux et un tournement de tête affreux qu’augmente encore la chaleur des poëles allemands dont vous connaissez le désagrément. — Jeudi, nous avons couché à Newhouse et, hier, nous avions la prétention d’arriver à Hadt, mais, après avoir passé treize heures en voiture, nous avons été obligés de nous arrêter dans un endroit dont j’ai oublié le nom, ayant fait quinze milles anglais. — L’hiver, je crois, nous attendait pour entrer dans le pays d’Hanovre car, depuis hier, il gèle à pierre fendre et toute la campagne est blanche. — J’ignore si vous recevrez un billet daté du grand chemin, que j’ai écrit pendant que les postillons changeaient nos chevaux pour ceux d’un monsieur qui s’est chargé de ma lettre et m’a appris l’horrible nouvelle de la défaite de l’armée de Condé. Quel affreux malheur pour les prisonniers ! car, d’après ce que cet homme m’a dit, il paraît que monsieur Buonaparte ne sera pas plus humain que les autres. — Ce pays-ci ressemble au désert de la Thébaïde et les chemins et les auberges sont les plus détestables que j’aie encore vus. — Adieu, pour le moment, mes amis ; je serai demain