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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/176

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CORRESPONDANCE

disant que je n’avais pas été chez elle dans la crainte que ma présence fût importune pendant un moment où, etc… Vous en comprenez le sens, et le billet était celui d’une femme de bonne compagnie pour la forme et le fond : mes raisons ne sont pas bien bonnes ; mais, quand on vit dans le monde, il faut se décider à en donner et à en recevoir de pareilles. Je ne me serais pas décidée, je crois, à aller chez madame de Viguier, à cause de ma vilaine mine, si le propos adressé à madame de Vaudémont ne m’y avait presque forcée. — J’ai été ce matin à Hambourg pour me procurer du molleton de coton, et j’en ai trouvé qu’on me dit être le plus beau, mais qui me paraît bien plus gros que la robe de chambre de papa ; on prétend qu’il paraîtra mieux après avoir été blanchi. J’ai tâché d’avoir de la futaine et je n’en ai trouvé que de la très grosse ; il est difficile de s’en procurer. J’ai été ce matin dans deux magasins (il ne faut pas dire ici boutiques) magnifiques. J’ai été menée dans l’un par une carte que son propriétaire a envoyée hier à monsieur de Boigne en le priant de passer chez lui. On nous a fait traverser plusieurs antichambres pour parvenir à une boutique, ou plutôt à une galerie assez spacieuse. Au bout de quelques minutes de solitude, un commis est venu nous dire que monsieur Shramm allait venir, et a déployé devant nous une quantité d’étoffes charmantes et du meilleur goût. Monsieur Shramm, un petit vieillard en bourse et en habit brodé, a paru et, sans autre préambule, a commencé par me prier à souper. Mon séjour à Altona m’a fait refuser une invitation que j’aurais voulu accepter, quoiqu’elle m’ait d’abord fort étonnée, mais, ce qui m’a surprise encore davantage, a été de voir cet homme changer absolument de langage et de ton du moment où il a passé de l’autre côté du comptoir, où le donneur de souper est devenu