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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/26

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MORT DU DUC D’ORLÉANS

au pied du catafalque même et y passaient des heures entières séparément, car ils évitaient de s’y trouver ensemble.

Quelquefois, la Reine entrecoupait ces cruelles séances de longues promenades dans le parc. Le sommeil ne fermait pas ses yeux : le repos lui était impossible. Cette vie a duré dix-sept jours sans aucun adoucissement.

Ma triste station accomplie, je me rendis à l’appartement de la Reine. Tandis que j’interrogeais Lapointe sur son état, elle passa devant moi, me regardant sans me voir, et je n’eus plus de questions à faire : c’était un spectre diaphane. Je ne comprends pas comment un si petit nombre de jours peut amener un si grand changement et un tel amaigrissement. Je me sentis le cœur navré.

Madame Adélaïde était auprès du Roi ; je ne pus la voir. La famille royale se tenant exclusivement entre elle et presque constamment autour du Roi, personne n’était admis dans son intimité, pas même les dames résidant à Neuilly. Les ministres ne voyaient que le Roi ; le chancelier seul arrivait jusqu’au salon de la Reine.

Pénétré, comme nous tous, de la pensée que, ni elle, ni les autres membres de la famille royale ne pourraient supporter la douleur, sans cesse activée, de ces funérailles prolongées dont on s’était comme enveloppé, monsieur Pasquier, de concert avec les ministres, demanda l’exposition du corps du prince au Louvre, selon les usages de la monarchie ; mais la Reine s’y refusa, et même avec colère. Elle se rappelait avoir visité les catafalques de Louis xviii et de monsieur le duc de Berry, où le public ne voyait qu’un spectacle. Elle en conservait un souvenir pénible et ne voulait pas exposer des restes si chéris à une pareille exhibition.

Si elle avait pu l’obtenir, elle aurait désiré que le cer-