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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/89

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

lût pas la lettre, soit que le sang-froid lui manquât, il n’insista pas pour se faire ouvrir et obtempéra à la demande de monsieur Mortier de lui passer ma réponse, sa propre lettre, sous la porte.

Les minutes, les quarts d’heures et les heures se passèrent pour moi dans un véritable état d’angoisse. J’envoyai messager sur messager, sans obtenir de réponse. L’un d’eux enfin accourut me dire qu’on venait d’apercevoir les deux enfants contre une fenêtre dans la dernière chambre, et qu’ils paraissaient calmes. Tous les habitants de l’hôtel Chatam, où le drame se passait, étaient dans l’anxiété.

Sur ces entrefaites, le chancelier survint. Il n’hésita pas à se rendre sur-le-champ à l’hôtel Chatam. Le préfet de police, monsieur Delessert, ne tarda pas à le rejoindre. Monsieur Pasquier somma monsieur Mortier d’ouvrir sa porte en lui parlant avec autorité, comme président de la Chambre des pairs dont celui-ci était membre ; mais il ne reçut que des refus et des invectives. Monsieur Mortier passait devant toutes les fenêtres de l’appartement, marchant à grands pas ; on croyait avoir vu quelque arme briller dans sa main.

Les pauvres petits enfants étaient toujours collés contre une vitre dont ils soulevaient de temps en temps le rideau. Chaque fois qu’on les apercevait, c’était un soulagement pour les spectateurs de cette affreuse scène. On n’osait pas enfoncer les portes, très solides d’ailleurs, dans la peur de pousser à l’accomplissement d’un crime paraissant encore suspendu.

Le chancelier essaya un nouveau colloque, d’un ton plus familier, avec monsieur Mortier ; il répondit cette fois moins brutalement. Il parvint enfin à obtenir de lui l’assurance que, si sa femme venait lui demander ses enfants, peut-être il les lui montrerait.