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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/94

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MORT DE MADAME ADÉLAÏDE

oppositions s’empressèrent à le bien mettre en lumière, et il s’en trouva abaissé (plus justement, cette fois, que pour l’aventure Pritchard) dans l’opinion publique.

Monsieur Guizot ne s’en montra nullement déconcerté. Il s’était pourtant vanté de la campagne diplomatique qu’il croyait mener avec une si haute stratégie à trop de monde pour pouvoir en espérer le secret ; mais il est dans sa nature de peu prévoir et de complètement oublier les faits pouvant lui être désagréables.

Un peu avant cette époque, je causais un matin avec le chancelier de la décision prise par lui d’abandonner la vie publique. Nous devisions sur l’opportunité d’annoncer ses intentions à la première ou la dernière séance de la session. J’inclinais pour ce parti, il me dit alors :

« Mon grand âge et l’affaiblissement de ma vue sont sans doute des raisons suffisantes pour justifier ma retraite ; mais je vous avoue que je suis surtout pressé par le profond dégoût de ce qui se passe. Tout tombe en charpie autour de nous. Le Roi est assis depuis dix-huit ans sur le trône ; il y est moins affermi que la première année. Il n’y a plus de direction, plus de volonté, plus de gouvernement.

« Chacun tire de son côté sans être guidé ; aussi tout s’abaisse et se dissout. Quand je vois comment on commande et comment on sert aujourd’hui et que je songe à la façon dont j’ai vu ordonner et obéir, je suis forcé de reconnaître tout changé. Je n’appartiens plus à un monde si nouveau ; nous ne sommes point faits l’un pour l’autre.

« Cette Chambre que je préside, on semble s’appliquer à la rendre chaque jour plus infime. Le ministère et même le Roi en font une grande remise pour toutes les incapacités. J’ai eu beau en montrer les inconvénients, on n’écoute plus mes remontrances.