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Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome V 1923.djvu/95

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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

« Il s’y trouve encore une douzaine de pairs qui la galvanisent de temps en temps ; mais, lorsqu’ils disparaîtront et nous sommes tous vieux, vous la verrez tomber dans un discrédit que je ne veux pas partager.

— Heureusement, mon ami, répondis-je en souriant, nous sommes trop vieux pour être témoins des catastrophes que vous craignez.

— Je n’en sais rien, reprit-il (en se levant brusquement, selon son habitude lorsque son discours s’animait), je n’en sais rien du tout. Ce gouvernement est si complètement délabré que je ne serais nullement étonné de le voir s’effondrer à la première heure… » Cette première heure ne devait guère tarder à sonner.

Quoique les douleurs de mon pied se fussent apaisées, la voiture me faisait souffrir, et je ne crois pas avoir été à Saint-Cloud pendant l’été. La Cour n’en revint qu’à Noël. Je me rendis tout de suite près de mes deux princesses.

Madame Adélaïde était chez le Roi. On me fit entrer dans son salon ; je m’assis dans une des grandes embrasures des fenêtres pour l’attendre. Elle arriva, portée par ses gens, et se fit arrêter dans cette même embrasure, vis-à-vis de moi. Je ne la trouvai pas beaucoup plus changée qu’à notre dernière entrevue.

Après les premiers mots sur nos mutuelles santés, elle me fit raconter l’aventure Mortier qui mena à celle des Praslin, et, selon l’habitude de nos conversations, nous arrivâmes promptement à la politique et à la situation du pays.

Je lui rapportai une partie des inquiétudes dont on m’entretenait chaque jour, des dangers si menaçants pour la couronne et du peu de résistance qu’on y opposait. Elle sembla m’écouter d’abord avec grand étonne-