Page:Mémoires de la société de l'histoire de Paris et de l'Ile-de-France, 26.djvu/32

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merce le plus grave préjudice en stérilisant la publicité, déroutant la clientèle et compromettant par conséquent la valeur même des fonds de commerce. Il est de notoriété parmi les boutiquiers que trois changements de nom de rue valent une expropriation, comme trois déménagements valent un incendie ; et je m’étonne même que la question d’indemnité n’ait pas encore été soulevée à cet égard.

À côté de ces considérations matérielles, il en est d’autres non moins respectables et d’un ordre plus élevé, dont on doit tenir compte, surtout à Paris, la ville la plus historique du monde moderne : ce sont les considérations relatives au culte des souvenirs. Cédant à des nécessités administratives, édilitaires ou sanitaires plus ou moins justifiées, vous avez effacé l’histoire de Paris de la surface du sol ; conservez-en du moins la trace dans la nomenclature de ses rues ; à défaut des monuments eux-mêmes, du décor où s’est joué ce grand drame, ces précieux jalons, ces points de repère évidents ou mystérieux aideront du moins l’historien à ressusciter le passé et permettront à la foule de le comprendre. Et ce n’est pas là le sentiment isolé d’un petit clan d’érudits ; depuis la déplorable destruction du vieux Paris, un sentiment de réaction pousse le public en général, savants et ignorants, à s’inquiéter des souvenirs historiques de notre antique cité, trop radicalement rajeunie. Les journaux s’en préoccupent, et leur rédaction fait depuis quelque temps sous ce rapport des progrès sensibles ; de nombreuses publications, des académies spéciales ont été créées avec le plus grand succès. En suivant ce mouvement on peut être certain de marcher d’accord avec l’opinion publique.

Donc, pour les rues anciennes, même modernisées, même transformées, il faut laisser subsister et, au besoin, rétablir les anciens noms qui tous ont une signification et rappellent d’intéressants souvenirs. Pour les rues nouvelles, il faut choisir de préférence les dénominations neutres, qui offrent les plus grandes chances d’invariabilité. Celles qui indiquent l’état ou la destination de la rue sont les meilleures : rue des Colonnes, quai aux Fleurs, avenue de l’Opéra, avenue du Bois-de-Boulogne. À défaut de caractère topique, beaucoup plus rare aujourd’hui qu’autrefois, on ne peut qu’approuver l’idée de transformer les plaques indicatives de nos rues en tablettes de la renommée au profit des hommes illustres de tous les pays, mais il faut réserver