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MÉMOIRE GÉOLOGIQUE

de la Russie méridionale aboutir au Caucase, et sur le prolongement infléchi de cette ligne, aux montagnes de la Crimée. Il me semblait que la constitution géologique de cette grande partie de la Russie, cachée si long-temps sous la nappe horizontale des terrains tertiaires des steppes, devait en Crimée se dévoiler tout entière, et qu’à part l’axe et le centre de la chaîne elle-même, j’aurais là une idée des terrains qui se relèvent vers le Caucase et qui forment ses premiers degrés. Pallas était à ma connaissance le seul géologue qui eût écrit sur la Crimée, et l’époque déjà ancienne où il avait fait ses observations me laissait espérer qu’il y avait à glaner encore après lui[1]. Je ne cacherai pas non plus que ce nom de Tauride, rappelant à mon esprit le souvenir d’oreste, d’Iphigénie, et des premiers développements de la civilisation grecque, avait aussi un attrait auquel j’avais de la peine à résister. Mon parti fut bientôt pris, et quittant à Galatz, en Moldavie, le bateau à vapeur de Constantinople, je me dirigeai vers Odessa où j’arrivai après une courte quarantaine sur les bords du Pruth, et un voyage long et difficile à travers les plaines de la Bessarabie, hors des routes de poste. À peine arrivé à Odessa, ville de près de 40,000 habitants, qui ne manque ni de luxe ni de richesse, oasis au sein d’un désert, espèce de comptoir de commerce pour les Européens, je m’informai des moyens d’aller en Crimée, et j’appris qu’un service régulier de bateaux à vapeur m’épargnerait les ennuis de la route de terre, qui, par Nikolaïef et Pérékop, ne traverse que des steppes.

J’eus le bonheur de rencontrera Odessa un jeune voyageur aussi modeste que distingué par ses connaissances en botanique, M. le docteur Casaretto, de Gènes, qui projetait aussi une excursion en Crimée, et nous fîmes ensemble tous nos préparatifs.

Nous fûmes présentés au gouverneur de la Russie méridionale, M. le comte de Woronzof, homme d’un savoir et d’un mérite peu communs, amateur passionné de la Crimée, où il dépense une partie de son immense fortune. Nous ne lui étions recommandés que par notre titre d’étrangers. Il nous accueillit avec une bienveillance et des manières affectueuses qui se rencontrent rarement dans d’aussi hautes fonctions, nous donna des lettres pour les gouverneurs des divers districts de la Crimée, nous prévint qu’il était sur le point d’y aller lui-même, et nous engagea à l’y venir visiter.

Le 23 juin, à midi précis, nous quittions le port d’Odessa sur le bateau à vapeur le Pierre-le-Grand. Le Nicolas partait en même temps que nous pour Constantinople, et pendant un quart d’heure les deux bâtiments marchèrent de conserve ; bientôt ils se séparèrent, et de bruyants hourras trois fois répétés, selon

  1. J’ignorais alors les travaux tout récents et encore inédits de M. Dubois de Montpéreux. Ce jeune et intrépide géologue, qui a parcouru pendant trois ans le Caucase et la Crimée, a fait connaître quelques unes de ses conclusions sur ces diverses chaînes de ; montagnes, dans une lettre adressée à M. Élie de Beaumont, et publiée à la fin de l’année 1837, dans le Bulletin de la Société géologique de France (Vol. VIII, pag. 371).