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SUR LA CRIMÉE

Montagne Brûlée, située à 2 verstes environ au S.-E. de Taman. Un officier polonais de la forteresse de Phanagorie, forteresse russe élevée sur l’emplacement supposé de l’antique ville grecque de Phanagoria, voulut bien nous servir de guide. Il avait été témoin d’une éruption de ce volcan au mois d’avril 1835 ; elle avait été précédée pendant trois jours de bruits souterrains qui avaient fait croire que la garnison d’Anapa avait eu un engagement contre les Circassiens ; l’éruption avait duré six heures. Pour l’observer, l’officier qui nous conduisait s’était approché jusqu’à la distance de 40 ou 50 pas ; la terre semblait en mouvement sous ses pieds, et du centre de la colline s’élevaient par intervalles, jusqu’à la hauteur de 30 ou 40 pieds, des fragments de terre noirâtre qui affectaient les formes les plus bizarres ; des gaz à odeur de bitume et de soufre se dégageaient constamment, et par intervalles on voyait même des jets de flammes. Après l’éruption, il ne resta qu’une colline de boue. Tel était le récit de notre aimable et intelligent conducteur, pendant que nous gravissions lentement la pente d’une colline de 200 pieds environ, qui de Taman s’allonge vers le S.-E. Cette pente était profondément ravinée par les eaux pluviales, et les dénudations ne laissaient voir qu’une terre argileuse plus ou moins grise ou noire sur laquelle étaient éparses quelques pierres brisées dont je parlerai tout à l’heure. C’est au sommet et sur l’arête de cette colline que sont placés les volcans ; plusieurs petits lacs d’eau douce ou saumâtre paraissaient occuper la place d’anciens cratères. Le cratère de 1835 s’apercevait de loin, car il formait une tache grise au milieu de la verdure un peu jaunâtre de la montagne. La place même du cratère, entièrement horizontale. avait une forme exactement circulaire ; elle était élevée de quelques pieds au-dessus du sol environnant, et ne présentait qu’une boue grise mêlée de quelques pierres fragmentaires, sans la plus légère trace de végétation, Le diamètre du cratère était d’environ 60 mètres ; la boue déversée sur les côtés, soumise après son dessèchement à une forte traction, s’était fendue en cercles concentriques autour du cratère. La colline conique que notre officier polonais avait vue immédiatement après l’éruption s’était tassée et présentait l’image d’un cône tronqué horizontalement très près de sa base. Nous visitâmes dans le voisinage un autre cratère qui avait fait éruption il y a 15 ou 16 ans, et dont l’activité se prolongea un mois ; il semblait s’être affaissé en partie, et son ancien emplacement est occupé aujourd’hui par un lac. Ce cratère nous parut plus considérable que le précédent.

De là nous vîmes à quelque distance un petit cône grisâtre qui nous fit l’effet d’un cratère récent ; en approchant nous traversâmes une grande fente qui semblait mettre ce cratère en communication avec les autres. L’éruption était toute nouvelle et sur une petite échelle ; elle était circonscrite par une pelouse d’un vert pâle, de sorte qu’on distinguait nettement le point d’éruption et les coulées de boue qui s’étaient déversées sur le gazon ; c’était réellement une miniature de volcan. Nous fîmes quelques pas sur cette boue, elle changeait de couleur et