Page:Mémoires du Baron Haussmann, tome 1.djvu/124

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se voyaient obligés de chausser de grandes guêtres à pieds, en droguet, sorte de drap grossier de chanvre et de bourre de laine, gris bleuâtre, dont les paysans s’habillent, dans lesquelles on entrait tout botté, et qui se boutonnaient jusqu’au milieu de la cuisse. Il ne s’y trouvait d’ouvertures que pour le passage des éperons !

Parfois, le cheval, enlisé, englué jusqu’au poitrail dans un mauvais pas, ne pouvait plus avancer. Il fallait en descendre à tout risque, pour l’aider à se tirer d’embarras. Et, pas moyen de chercher une issue ou, tout au moins, un point d’appui dans les propriétés voisines, généralement fermées d’épaisses haies d’aubépine !

Me voit-on parcourant, dans ces conditions, mon arrondissement, avec de pareilles guêtres aux jambes, un manteau de toile cirée enroulé sur le devant de ma selle, quand il ne reposait pas sur mes épaules, et, de plus, une coiffure imperméable sur la tête ? — Les étoffes imprégnées de caoutchouc n’étaient pas inventées.

Il faut connaître les pluies torrentielles du Midi et les cataractes que les orages y font tomber du ciel, pour comprendre qu’un fort manteau de drap, trop lourd et trop chaud, d’ailleurs, n’en puisse préserver longtemps. Un pauvre lieutenant de Gendarmerie, couvert de ses vêtements d’ordonnance, qui recevait, en ma compagnie, un vrai déluge, avait le sien tellement transpercé, que l’eau du ciel lui coulait tout le long du dos, sous son uniforme. Pour exprimer toute la profondeur de son inondation, il me disait : « La selle se mouille ! »

Dans la lande, contrairement à ce qui se passe dans le terrefort, la pluie raffermit la surface du pays. Mais, sous l’action du soleil, le sable se désagrège et redevient pulvérulent. Parfois, des chemins, dont le sol n’était protégé