Page:Mémoires du Baron Haussmann, tome 1.djvu/188

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entière semblera prise de vertige et de folie. Parfois même, il suffit de la fureur d’une minorité violente, intimidant les gens paisibles, déconcertés, ahuris de terreur, pour ébranler, pour renverser l’échafaudage qu’on avait si prudemment combiné. Ce n’est plus seulement du désordre ; c’est une révolution !

Je reçus, à Saint-Girons, la visite d’un pasteur protestant du centre de la France, qui venait me saluer, après une cure à n’importe quelle station d’eaux, en allant au Mas-d’Azil et à Saverdun (arrondissement de Pamiers), sièges d’églises consistoriales réformées. Il me demanda l’autorisation de visiter l’Asile de Saint-Lizier, afin d’y voir un exemple de l’application, encore bien récente en France, du régime de la vie en commun des aliénés. Je l’y conduisis. Prévenu de ce qu’il allait voir, il ne pouvait cependant se persuader que cette cuisinière en chef, qui surveillait ses fourneaux avec tant de soin, et lui détaillait, avec tant de complaisance, la composition de ses menus ; que ces surveillants et surveillantes, pleins d’intelligence, qui savaient expliquer si bien la nature de la manie de chacun ou de chacune, fussent autant de fous. Il me fallut pour l’en convaincre entièrement, prendre à part un surveillant, et le mettre sur un sujet qui le fit divaguer.

— « Mais alors, » me dit, en revenant, cet excellent Ministre de Dieu, « beaucoup de ceux avec qui nous vivons et que nous tenons pour raisonnables, sont peut-être fous, au fond, comme celui-là ? » — « Ne dites pas : peut-être, » lui répondis-je, « mais : sûrement, en ajoutant ce correctif : à certains égards. Sans parler des petites manies qu’on peut observer chez presque tous les êtres