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Page:Mémoires du Baron Haussmann, tome 1.djvu/19

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que je ne voulus pas revendiquer celle de Comte, accordée sans conteste, par l’Empereur, à tous ceux de mes collègues qui l’ont réclamée, en invoquant un décret du premier Empire, d’après lequel tout Sénateur y pouvait prétendre, de plein droit.

C’est M. le marquis de Boissy, cet inoubliable fantaisiste, qui, dans un de ses étranges discours, exhuma ce décret, pour turlupiner M. Bonjean, bourgeois endurci, de façons des plus roturières, en l’appelant : « Monsieur le comte Bonjean ! » — « Pourquoi me donnez-vous ce titre ? » interrompit celui-ci d’un ton rogue. — « Parce qu’il vous revient, » lui répondit fort tranquillement son interlocuteur ; « et si vous ne le savez pas, je vous l’apprends. » — À l’appui de son dire, M. de Boissy cita le fameux décret, dont M. Bonjean ne profita pas plus que moi, certes, mais qui dut procurer au Trésor, depuis ce jour, une jolie somme, pour droits de sceau, payés, je le pense, par ceux des membres du Sénat dont les cartes s’ornèrent, peu à peu, du titre de Comte.

À l’époque où l’Empereur créa successivement plusieurs Ducs, je sus qu’il songeait à m’honorer de cette dignité suprême et d’un nom qui fût la consécration de mes services. N’ayant pas de fils ; trop pauvre, du reste, pour soutenir un très haut rang, je m’avisai de raconter à Sa Majesté la boutade par laquelle j’avais déconcerté deux de ses grands fonctionnaires, entre qui je déjeunais à sa table, au palais de Fontainebleau, après un Conseil du matin, et qui, jaloux de la faveur faite à d’autres, et voulant m’associer à leurs récriminations, me disaient : — « Vous, par exemple, vous devriez être