Page:Mémoires du Baron Haussmann, tome 1.djvu/201

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truites pour notre dîner ; qu’on déchargeait les mulets et mettait les chevaux solidement entravés au pacage sur une grande pelouse où le réglisse blanc verdoyait, je partis avec le Capitaine, un brigadier et un sous-brigadier de Douanes, pour monter au sommet du Crabère, afin de vérifier quelque chose de là-haut.

Dominique me suivit. Ma femme lui avait écrit, pour lui recommander de bien veiller sur moi dans toutes nos courses, et puisque j’allais encore « risquer de me casser le cou », cette fois, il voulait en être. Il disait au Capitaine : — « Qu’est-ce que j’aurais à répondre à cette femme’, s’il me fallait revenir sans Monsieur ? »

Avant de parvenir au pied du cône, on perd une heure et demie de marche, lente et pénible, à gravir, en la contournant, par un ravin long et difficile, dévalant sur la droite du lac d’Areins, la serre en haut de laquelle le pic se dresse, et dont la crête en pente n’est pas moins longue et difficile à parcourir. Dans ce trajet, nous aperçumes des isards bondissant au loin, et nous fîmes lever des perdrix blanches (lagopèdes).

Quant à l’ascension du cône, elle fut on ne peut plus essoufflante. Mes compagnons y procédaient, patiemment, par zigzags. Moi, j’aimais mieux grimper droit par à-coups, entre deux coulées de neige, et m’arrêter pour reprendre haleine, pendant qu’ils louvoyaient, jusqu’à ce que leurs embardées me les ramenassent. De temps en temps, je mettais un peu de neige dans ma bouche pour rafraîchir ma respiration brûlante. Enfin, à six heures du soir, nous arrivâmes sur l’étroit sommet, à côté de la petite tour-signal de Cassini. La neige me montait jusqu’à mi-cuisse, et le soleil était encore assez fort pour me brûler la figure.