Page:Mémoires du Baron Haussmann, tome 1.djvu/203

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bère et le Pont-du-Roi (Haute-Garonne), le Capitaine grava la date de notre ascension, avec nos noms et qualités, sur les pierres de la tour, et offrit à Dominique d’ajouter son nom aux nôtres. — « Mettez : Dominique Élie, » répondit-il, « et puis, cocher du Sous-Préfet. Ils croiront que nous sommes venus avec la calèche ! » — Ils ne pouvaient guère s’adresser qu’aux isards, les pèlerins les plus probables de ce haut lieu.

Une heure suffit à notre descente, moins fatigante, mais plus dangereuse que notre montée. Mon coup de soleil en plein visage me causait une vive cuisson, accompagnée de mal de tête et d’un peu de fièvre. Je ne fis donc pas grand honneur au festin qui nous attendait. Indépendamment des abondantes victuailles apportées à dos de mulet, et de belles truites pêchées dans le lac et grillées en sortant de l’eau, un douanier faisait rôtir, devant un brasier ardent, autour d’une branche d’arbre servant de broche, comme aux temps héroïques, un mouton entier, acheté d un pâtre installé sur la serre du Canéja.

Ce pâtre avait bien prévenu l’acheteur que notre campement était justement établi sur un point où passait, presque toutes les nuits, un couple d’ours, auquel son troupeau devait payer, de temps en temps, le tribut d’un mouton. Car, à la différence des loups qui étrangleraient tout un troupeau, pour peu qu’on leur en laissât le temps, avant d’en rien emporter, les ours, plus discrets, plus ménagers, se contentent, paraît-il, de pourvoir périodiquement à leurs besoins et à ceux de leurs petits. On rit beaucoup, à dîner, du dérangement que notre camp pourrait causer à la promenade