Page:Mémoires du Baron Haussmann, tome 1.djvu/248

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Une fois, il ne me fallait pas seulement demander le sacrifice d’une haie : il s’agissait d’une charmille ! Or, celui qui n’a pas vécu dans le Midi, ne sait pas le prix qu’on y met à ces affreux berceaux taillés, et aux « cabinets de verdure » grotesques dont on borde les chemins, pour voir les passants, à l’abri du soleil.

Le propriétaire était un Capitaine au Long Cours. Il vint, furieux, me déclarer qu’il se posterait, avec son fusil, derrière sa charmille, et que le premier qui se présenterait pour y toucher, aurait un mauvais moment.

« Mais, personne, Monsieur », lui répondis-je avec le plus grand calme, « n’y portera la sape sans votre consentement. »

Le lendemain, un agent voyer plantait une ligne de piquets à travers sa plus belle pièce de vigne. Retour du Capitaine, exaspéré.

« Mais, Monsieur, » lui dis-je alors, « puisque vous ne voulez pas me permettre d’élargir et rectifier, aux dépens de votre charmille, la courbe regrettable du chemin contournant votre propriété ; puisqu’il faut vous exproprier, autant vaut substituer, à cette courbe, une ligne droite, et faire profiter ainsi le tracé du chemin, de la dépense que je ne puis éviter, comme je l’espérais. »

Il n’avait rien à répondre.

J’eus la portion qu’il me fallait de la charmille, et pour rien. Le malheureux, sur mon conseil, alla passer une huitaine à Bordeaux, pendant laquelle le travail se fit. Le dégât réparé, je reçus sa visite de remerciement, et, par la suite, aucun autre de mes administrés ne me fut aussi dévoué que lui. Bien plus, il me seconda, par une propagande active, auprès des autres propriétaires ;