Page:Mémoires du Baron Haussmann, tome 1.djvu/295

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donner à Cavaignac !) » disaient les mères aux enfants pas sages. J’ai même entendu souvent de vieilles femmes, luttant avec leurs mulets ou ânes rétifs, qu’elles chargeaient de coups pour les faire marcher, crier : « Hi ! doun, Cabagnac ! »

Interloqué par la réponse de son « paysan », mon compagnon reprit : « Mais alors… ! » — « Jou, Moussu, a queste cop, bouli bouta per l’Empereur (Moi, Monsieur, ce coup-ci, je veux voter pour l’Empereur !) » — « Mais, mon ami, l’Empereur est mort. » — «  Cresi, Moussu ? (Croyez-vous, Monsieur ?), » répliqua le paysan d’un air de naïveté finaude. « Eh be ! qué bouli bouta per soun goujat ! (Eh bien ! je voterai pour son fils). » — « Mais, son fils est mort aussi. » — « Soun doun tous morts ! A pas degun may ? (Ils sont donc tous morts ? N’en existe-t-il plus aucun ?) » Cette fois, le paysan souriait malignernent. « Oh ! nous avons bien le neveu ; mais… » — Et alors, le maître raconta Strasbourg, Boulogne, etc., etc. Quand il eut fini, le paysan, qui l’avait écouté sans broncher, avec le plus grand respect, répondit : — « Ta bé, Moussu, qué bouli bouta per el ! (Tout de même, Monsieur, je veux voter pour lui !) »

Napoléon était un nom connu. Lamartine, je l’ai prouvé, ne l’était pas assez. Quant à Cavaignac, il l’était beaucoup trop !

En quittant mon hôte, je lui dis : — « Puisque vous vous dites son chef, croyez-moi ; suivez, cette fois, votre paysan, de peur qu’il ne s’habitue à marcher sans vous. »

À Bordeaux, cependant, je crois bien me rappeler que le même personnage, dans la réunion de la salle