Page:Mémoires du Baron Haussmann, tome 1.djvu/294

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portai d’excellentes nouvelles. Je ne saurais mieux rendre les dispositions des campagnes, qu’en racontant ce que j’entendis à Prignac-Cazelles, la première commune de l’arrondissement où je m’arrêtai, sur le chemin de Saint-André-de-Cubzac à Bourg.

Je faisais route de conserve avec un gentilhomme des environs de Barsac ; membre du Conseil Général ; autrefois, orléaniste ; désormais, partisan du général Cavaignac. Il allait visiter une de ses propriétés sise à Prignac. Quand il me proposa de déjeuner avec lui, d’une omelette de la femme de son « paysan », — c’est la qualification donnée aux régisseurs de bas étage, — et de goûter son vin, j’acceptai. Pendant le repas, mon hôte dit, en patois, à cet homme, occupé de nous servir : — « Eh bien ! Janille (diminutif de Jean), nous allons donc avoir encore une élection. Que fera-t-on par ici ? — « Mon Dieu, Monsieur, » répondit l’autre, toujours en patois, « l’enfant à la mamelle en sait tout autant que moi sur ces choses-là. Mais, nous avons voté, cette année, pour des Messieurs absolument inconnus dans le pays, qu’on nous assurait être des bons. Les uns nous approuvent ; les autres nous donnent tort. Nous ne savons qui croire. Cette fois, nous voudrions voter pour un nom connu. » — « Eh bien, mon ami, prenez le général Cavaignac ! » — « Oh ! Monsieur, ce n’est pas un bon nom dans ce pays. »

Pour comprendre cette réponse, il faut connaître les souvenirs terribles laissés par le père du général Cavaignac dans la Gironde, à la suite de la mission qu’il y remplit sous la Terreur. Son nom est une menace. — « Qué m’en bao te bailla à Cabagnac ! (Je m’en vais te