Aller au contenu

Page:Mémoires du maréchal Joffre (1910-1917) T.1.pdf/135

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
124
mémoires du maréchal joffre


De cette importante conférence, dont j'ai conservé le souvenir très précis, on peut tirer les conclusions suivantes :

Tout d'abord, la menace d'invasion allemande à travers la Belgique non seulement ne nous avait pas échappé, comme on l'a trop souvent répété, mais elle nous apparaissait si probable que nous étions tombés d'accord avec le gouvernement sur le droit que nous aurions de pénétrer en Belgique aussitôt que cette dernière serait violée par nos ennemis. Au cours de la discussion, comme on vient de la voir, le président du Conseil, M. Poincaré, malgré sa prudence naturelle, était même allé dans cette voie plus loins que je ne m'y attendais, en admettant qu'un intervention de nos armées au delà de la frontière neutre pourrait être justifiée par une « menace positive d'invasion allemange » en Belgique. Mais que fallait-il entendre par une « menace positive » ? Il ne semblait pas qu'une concentration allemande en Prusse rhénane pût dénoter une intention évident de pénétrer en Luxembourg belge ; des rassemblements entre Trèves et Malmédy pouvaient être

    trésorerie seraient suffisants. Mais, si la guerre doit être longue, très longue, comme d'autres personnes l'affirment, nous devons établir dès maintenant le projet d'un vaste emprunt qui serait négocié à New-York dès l'ouverture des hostilités, afin de n'être pas devancés par nos ennemis sur le marché américain. Je prie donc M. le général Joffre de nous dire quelel pourrait être, dans l'état présent de l'Europe, la durée d'une grande guerre. »
    Le général répondit :
    «Je fais, à cet égard, deux hypothèses. Première hypothèse : nous sommes vainqueurs au début. J'estime qu'il nous faudra au moins six mois pour arriver jusqu'au Rhin. Alors, mais alors seulement, commencera la véritable résistance nationale de l'Allemagne, l'entrée en scène de toutes les puissances, une durée indéfinie... Deuxième hypothèse : nous sommes vaincus au début. J'estime que je pourrai soutenir pendant quatre mois notre retraite sur le Morvan. Alors, mais alors seulement, commencera la véritable résistance nationale de la France, l'entrée en scène de toutes les puissances, une durée indéfinie. »
    « — Ainsi, dans les deux hypothèses, vous prévoyez une durée indéfinie ?
    « — Oui, dans les deux hypothèses, une durée indéfinie. » (Note de l'éditeur.)