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de nos armées au delà de la frontière neutre pourrait être justifiée par une menace positive d'invasion allemande en Belgique, et dans le cas où nous aurions acquis la certitude du consentement des Anglais. Il était donc légitime pour moi d'envisager le cas où une entente avec l'Angleterre s'établissant à ce sujet dès les premiers jours de la guerre, nous pourrions appliquer un projet d'opérations basé sur la violation de la neutralité belge.

Je me rendais compte, d'ailleurs, que l'agrément de l'Angleterre étant problématique et soumis à des considérations politiques, il était impossible de faire reposer à priori un plan d'offensive stratégique sur des éventualités qui pouvaient fort bien ne jamais se produire.

Si séduisant au premier abord, au point de vue militaire, que fût basé un plan reposant sur une offensive en Belgique, ce projet comportait des risques considérables. Tout d'abord, l'intervention des forces belges contre le flanc gauche de nos armées serait particulièrement dangereuse si les Belges venaient à lier leurs opérations à celles d'une masse allemande s'avançant à notre rencontre à travers le Luxembourg belge. Il est vrai que nous pouvions escompter, dans cette éventualité, l'arrivée en temps opportun des contingents britanniques qui pareraient à cette menace.

La situation serait pour nous plus fâcheuse encore si les Allemands, refusant complètement leur aile droite, nous obligeait à parcourir de longs espaces avant de livrer bataille. Nos adversaires se placeraient ainsi hors d'atteinte des forces anglaises qui ne pourraient pas s'engager dans la région de Trèves avant le vingt-sixième jour de la mobilisation anglaise ; cette situation nous ferait perdre un temps précieux que les Allemands pourraient mettre à profit pour attaquer vigoureusement nos armées de Lorraine. S'ils réussissaient à battre notre droite dans la région de Nancy et au sud, alors que nos armées de Belgique, donnant au début dans le vide, n'auraient encore obtenu aucun résultat, ils nous placeraient dans une situation critique qui présenterait quelque analogie avec celle du mois de septembre 1870. Dans tout projet d'of-