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mémoires du maréchal joffre

prendre fin dans la journée du 20 ; pour éviter des représailles, le gouvernement belge avait décidé que la garde civique ne défendrait pas Bruxelles et se replierait également sur Anvers. Dans la soirée, des renseignements belges et anglais arrivèrent qui nous donnèrent de nouvelles précisions : de nombreuses colonnes avaient été vues au nord de la Meuse : elles étaient orientées vers l'ouest, leurs têtes atteignaient la ligne Aerschot, Louvain, Jodoigne : elles étaient estimées à 4 corps d'armée au moins.

On juge de l'importance de ces renseignements : c'était la première fois que nous étions éclairés avec précision sur ce qui se passait au nord de la Meuse.

Tout d'abord, les effectifs se révélaient beaucoup plus nombreux que nous ne l'avions cru jusqu'ici. Ils étaient manifestement trop importants pour n'être consacrés qu'à la mise hors de cause de l'armée belge. D'ailleurs, le front de marche, l'orientation des colonnes indiquaient que cette masse était dirigée contre notre aile gauche.

D'autre part, cette manœuvre s'annonçait beaucoup plus large que nous ne l'avions envisagée, puisqu'elle débordait largement Bruxelles par le nord.

Ainsi, toutes nos précédentes incertitudes se dissipaient brusquement, au moment où s'achevait la concentration franco-britannique. Il semblait bien que les Allemands, derrière le rideau de leur cavalerie, étaient parvenus à rassembler une masse de manœuvre d'extrême droite[1]. Et l'ensemble des renseignements nous permettait de nous faire maintenant une idée du plan que nos adversaires réalisaient : il s'agissait d'une marche des armées allemandes l'aile droite en avant.

  1. Le rôle de la cavalerie allemande au début de la campagne de 1914 comme masque de la manœuvre stratégique ne me semble pas avoir été jusqu'ici étudié avec assez d'intérêt : il fut extrêmement important et me paraît de nature à modifier certaines idées relatives à l'utilité et à l'emploi de la cavalerie. A l'abri d'un rideau de cavalerie, il sera toujours possible, par des marches de nuit, de réaliser des concentrations qui échapperont à l'observation et qui seront susceptibles de déterminer « l'événement » dont parlait Napoléon.