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Page:Mémoires du maréchal Joffre (1910-1917) T.1.pdf/71

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mémoires du maréchal joffre

estimaient que les obstacles de la fortification de campagne pourraient être aisément détruits par l'obus explosif de 75, jugé supérieur à l'obus de calibre analogue de nos adversaires ; tout au plus, dans certains cas exceptionnels, aurait-on recours au 155 C. T. R. ; par là on éviterait, en se contentant du 75, d'alourdir les colonnes, ce qui paraissait essentiel aux doctrinaires de l'offensive à outrance, qui ne voulaient voir dans la bataille qu'une manœuvre et une lutte d'infanterie, seulement appuyée par l'artillerie.

D'autre part, dans les milieux compétents de l'artillerie, notamment au cours de tir de Mailly, on savait fort bien que l'artillerie allemande disposait de pièces tirant infiniment plus loin que notre canon de campagne ; mais on estimait que les artilleurs allemands ne pourraient tirer parti de cet avantage : en effet, on jugeait indispensable que le capitaine restât à proximité de ses pièces ; on considérait comme impraticable, en raison de la difficulté des transmissions téléphoniques sur le champ de bataille, de placer l'observateur loin de la batterie.

Comme, à cette époque, l'emploi de l'avion d'observation était inconnu, on en concluait qu'il était inutile d'essayer de tirer au delà du rayon normal d'observation du capitaine maintenu près de ses pièces. Cinq à six kilomètres paraissaient un maximum à ne pas dépasser. La guerre s'est chargée, en quelques semaines, de montrer le peu de valeur de ces spéculations.

Malgré ce courant d'esprit hostile à l'artillerie lourde, il fallut bien cependant constater que nous avions perdu notre avance. Pour ce qui me concerne, j'avais été si frappé de notre infériorité que j'avais été amené, dès mon entrée au Conseil supérieur de la Guerre, en 1910, comme je l'ai déjà rapporté, à attirer l'attention du ministre, le général Brun, et de mes collègues, sur cette question. Il fallait, à mon avis, un canon long susceptible de prolonger le tir du 75, un obusier mobile, pour attaquer les objectifs défilés et prendre part à la lutte contre les pièces allemandes depuis peu munies de boucliers, et un mortier