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Page:Mémoires inédits de l'abbé Morellet tome 1 1882.djvu/346

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je l’ai aimée, moi, à la folie ; mais elle était dure à mon égard, et m’a rejeté absolument pour l’amour de vous. — Je vous plains, dit-il, de votre malheur, car vraiment c’est une bonne femme et bien aimable. Mais l’abbé de Laroche et l’abbé Morellet ne sont-ils pas encore quelquefois chez elle ? — Oui, assurément, car elle n’a perdu un seul de vos amis. — Si vous aviez gagné l’abbé Morellet avec du café à la crême, pour parler pour vous, peut-être vous auriez réussi ; car il est raisonneur subtil, comme Scotus ou Saint-Thomas, et il met ses argumens en si bon ordre, qu’ils deviennent presque irrésistibles. Ou si vous aviez engagé l’abbé de Laroche, en lui donnant quelque belle édition d’un vieux classique, à parler contre vous, cela aurait été mieux ; car j’ai toujours observé que, quand il conseille quelque chose, elle a un penchant très-fort à faire le revers. À ces mots, entrait la nouvelle Mme Helvétius avec le nectar ; à l’instant, je l’ai reconnue pour Mme Francklin, mon ancienne amie américaine. Je l’ai réclamée ; mais elle me disait froidement : j’ai été votre bonne femme quarante-neuf années et quatre mois, presque un demi-siècle ; soyez content de cela. J’ai formé ici une nouvelle connexion qui durera à l’éternité. Mécontent de ce refus de mon Eurydice, j’ai pris tout de suite la résolution de quitter ces ombres ingrates, et de revenir en ce bon monde revoir le soleil et vous. Me voici. Vengeons-nous ? »