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Page:Mémoires inédits de l'abbé Morellet tome 1 1882.djvu/56

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Cet homme, qui s’élève si fort au-dessus de la classe commune, qui a laissé un nom cher à tous les amis de l’humanité et un souvenir doux à tous ceux qui l’ont particulièrement connu, annonçait, dès-lors, tout ce qu’il déploîrait un jour de sagacité, de pénétration, de profondeur. Il était en même temps d’une simplicité d’enfant, qui se conciliait en lui avec une sorte de dignité, respectée de ses camarades et même de ses confrères les plus âgés. Sa modestie et sa réserve eussent fait honneur à une jeune fille. Il était impossible de hasarder la plus légère équivoque sur certain sujet, sans le faire rougir jusqu’aux yeux et sans le mettre dans un extrême embarras. Cette réserve ne l’empêchait pas d’avoir la gaîté franche et naïve d’un enfant, et de rire aux éclats d’une plaisanterie, d’une pointe, d’une folie.

Il avait une mémoire prodigieuse, et je l’ai vu retenir des pièces de cent quatre-vingts vers, après les avoir entendues deux ou même une seule fois. Il savait par cœur la plupart des pièces fugitives de Voltaire, et beaucoup de morceaux de ses poëmes et de ses tragédies.

Il avait passé toute son enfance presque rebuté, non pas de son père, qui était un homme de sens, mais de sa mère, qui le trouvait maussade, parce qu’il ne faisait pas la révérence de bonne grâce, et qu’il était sauvage et taciturne. Il fuyait la compagnie qui venait chez elle ; et j’ai ouï dire à madame Dupré de St.-Maur, qui voyait Mme Turgot, qu’il se