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Page:Mémoires inédits de l'abbé Morellet tome 1 1882.djvu/73

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Prades d’aller chercher un asile chez le roi de Prusse, qui le reçut, à la sollicitation de d’Alembert, et qui n’eut pas lieu de s’en louer, comme on sait.

Après l’éloignement de l’abbé de Prades, je continuai d’aller voir Diderot, mais en cachette, propter metum Judæorum. J’employais à cette bonne œuvre les matinées du dimanche, où mon élève était en récréation ou suivait les exercices religieux du collège. La conversation de Diderot, homme extraordinaire, dont le talent ne peut pas plus être contesté que ses torts, avait une grande puissance et un grand charme ; sa discussion était animée, d’une parfaite bonne foi, subtile sans obscurité, variée dans ses formes, brillante d’imagination, féconde en idées et réveillant celles des autres. On s’y laissait aller des heures entières comme sur une rivière douce et limpide, dont les bords seraient de riches campagnes ornées de belles habitations.

J’ai éprouvé peu de plaisirs de l’esprit au-dessus de celui-là, et je m’en souviendrai toujours.

On demandera peut-être quel agrément pouvait avoir pour Diderot lui-même la conversation d’un jeune homme, élevé jusqu’alors dans la crasse des séminaires et dans la poussière des écoles, et qui ne pouvait avoir, ce semble, dans la tête que des sottises théologiques.

Mais d’abord, et je dois le dire à l’honneur de sa mémoire, il n’y a jamais eu d’homme plus facile à vivre, plus indulgent que Diderot ; il prêtait et donnait même de l’esprit aux autres. Il avait en sen-