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Page:Mémoires inédits de l'abbé Morellet tome 2 1882.djvu/28

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m’élancer. Cette corde, se trouvant en mon chemin, m’arrêtait par le milieu du corps ; et, après avoir rencontré cet obstacle deux ou trois fois, mon somnambulisme cessa.

C’est vers cette même époque, au commencement de messidor (juin et juillet 1794), lorsqu’on égorgeait chaque jour sur la place de la Révolution vingt et trente, et par degrés, jusqu’à soixante personnes, que, cherchant à soulager les sentimens d’horreur et d’indignation dont j’étais oppressé, je m’avisai d’écrire un ouvrage d’un genre tout nouveau parmi nous, où l’ironie est poussée à l’extrême, et où je tâche de rendre encore plus odieuses les atrocités, en proposant d’enchérir sur celles dont nous étions les témoins. Il y a quelque chose d’effroyable dans l’idée de cet ouvrage, mais il porte l’empreinte de ces temps barbares. Je l’ai écrit dans un moment de fureur contre les destructeurs des hommes, et je ne l’ai jamais publié. Il a pour titre : le Préjugé vaincu, ou Nouveau moyen de subsistance pour la nation, proposé au comité de salut public en messidor de l’an II de la République (juillet 1794).

Pour en dire le sujet en deux mots, j’y propose aux patriotes, qui font une boucherie de leurs semblables, de manger la chair de leurs victimes, et, dans la disette à laquelle ils ont réduit la France, de nourrir ceux qu’ils laissent vivre des corps de ceux qu’ils tuent.