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Page:Mémoires inédits de l'abbé Morellet tome 2 1882.djvu/29

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Je propose même l’établissement d’une boucherie nationale sur les plans du grand artiste et du grand patriote D***, et une loi qui oblige tous les citoyens à s’y pourvoir au moins une fois chaque semaine, sous peine d’être emprisonnés, déportés, égorgés comme suspects, et je demande que, dans toute fête patriotique, il y ait un plat de ce genre, qui serait la vraie communion des patriotes, l’eucharistie des jacobins, etc.

J’ose dire que dans cette ironie, qu’on peut appeler sanglante, il y a de ce que les Anglais appellent humour, et que, si elle eût pu être imprimée à l’époque où je l’ai écrite, elle eût produit quelque effet. Mais comme il n’y avait aucun moyen humain de l’imprimer et de la répandre, qu’on eût été trahi ou découvert cent fois, et que son premier résultat eût été de me mener à l’échafaud, je la gardai dans mon portefeuille. Après le 9 thermidor, je la lus à Suard, homme d’un goût délicat et sûr, pour savoir si je céderais à la tentation de la publier, et de contribuer ainsi à affermir notre conversion. Il rejeta bien loin cette idée, et je me le tins pour dit. Ses raisons étaient principalement l’horreur et le dégoût qu’il croyait devoir frapper mes lecteurs, et surtout les femmes, aux images repoussantes que j’avais rassemblées, et l’impression défavorable qu’on prendrait, disait-il, de l’écrivain, qui avait pu arrêter si longtemps sa pensée sur ces horribles objets et les peindre à loisir.