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Page:Mémoires inédits de l'abbé Morellet tome 2 1882.djvu/40

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ciergerie, tous les jours à la veille d’être égorgées, et voyant tous les jours leurs amis traînés à l’échafaud et leur disant le dernier adieu, échappèrent à tant de dangers par les soins d’un ange gardien : cet ange était un homme appelé Le Chevalier. L’abbé Le Chevalier, dont le nom doit être conservé dans les fastes de l’amitié héroïque, et ce qui est plus difficile, persévérante autant que courageuse, était instituteur du jeune Boufflers, fils unique de la contesse Amélie. Voyant la mère et la fille emprisonnées ; leurs biens séquestrés depuis l’émigration du comte de Boufflers, époux de la comtesse Amélie ; elles-mêmes signalées pour la mort par un beau nom comme par un crime ; et sans appui, sans ressource, dans un temps de terreur où le cri sauve qui peut était devenu pour tant d’autres l’unique règle de morale et de conduite, il vendit sa bibliothèque et une petite possession qu’il avait en Normandie, d’abord pour les faire vivre en prison, et puis pour détourner loin d’elles la hache fatale. Il avait connu Fouquier-Tinville chez un procureur au parlement, chez qui cet homme féroce allait régulièrement dîner plusieurs fois la semaine. Il se rapprocha de lui chez le procureur. Il allait à la buvette, où ce misérable se gorgeait souvent de vin et d’eau-devie. Le Chevalier buvait avec lui ou en faisait semblant. Il obtenait que les papiers des dames de Boufflers, déjà prêts à être envoyés au tribunal, fussent remis au fond du carton. Enfin, à force