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Page:Mémoires inédits de l'abbé Morellet tome 2 1882.djvu/71

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nombre des pères d’émigrés, dont j’avais, disait-il, si éloquemment plaidé la cause ; qu’il avait deux filles émigrées avec leurs maris qui étaient nobles ; qu’il n’avait pu empêcher leur émigration ; que sexagénaire et aveugle, il serait dépouillé des trois quarts de ses biens, sans la suspension de la loi du 9 floréal, qui venait d’être prononcée après la publication de mes premiers écrits ; que cette suspension lui avait rendu quelque tranquillité pour l’avenir ; qu’il ne pouvait m’exprimer toute sa reconnaissance, mais qu’il se flattait que je daignerais en accepter un faible témoignage dans un petit envoi des produits de l’industrie de son pays. Sa lettre était signée de sa femme, pour mon mari aveugle, et elle était accompagnée de quelques toiles de Flandre. Anson me força de les accepter.

Après ces marques particulières d’estime, je dois mettre au rang de mes jouissances littéraires dans ces temps malheureux, la justice que me rendirent plusieurs orateurs des deux conseils, qui défendirent comme moi les pères et mères d’émigrés, mais qui ne faisaient en cela que leur devoir, leur métier, tandis que mon travail était volontaire et bénévole. Émery et Portalis convinrent que j’avais le premier fourni et développé les principaux moyens de cette cause dont ils furent aussi les avocats, et que, si jamais justice se fût rendue à leurs cliens, j’aurais l’honneur de l’avoir le premier et le plus ardemment sollicitée.